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22 octobre 2016 6 22 /10 /octobre /2016 12:29

 

"Quand vous aurez fini de faire le joli cœur, nous pourrons peut être l'interroger," intervint Absolvus en latin, "je veux savoir qui elle est, d'où elle vient et pourquoi elle est ici !"
"Je m'apprêtais à lui demander, Centurion, " répondit sèchement Catholicus, "maintenant, je vous prie de vous taire pendant que je lui parle."
Absolvus s'apprêta à répliquer quelque chose, mais il se renfrogna en silence.
"Janice, comme vous l'avez sans doute deviné, ce gentilhomme désire savoir qui vous êtes, d'où vous venez et ce qui vous a amenée là. J'avoue que je serais, moi aussi, assez curieux de le savoir. "
"Je m'appelle Janice Souleyman et je viens de la Terre." répondit elle en désignant l'écusson sur sa poitrine.
"Comment est ce possible ?" s'écria Absolvus qui n'avait pas eu besoin de traduction, "elle arrive par la direction opposée."
"Centurion, je vous serais reconnaissant de ne pas intervenir et de laisser cette femme s'expliquer."
Revenant à Janice, il lui dit doucement :
"Pardonnez moi, très chère, mais votre réponse nous rend perplexes. Il se trouve que nous venons nous aussi de la Terre. Or, la Terre est de ce côté tandis que vous venez de la direction opposée, avez vous une explication ?"
"J'en ai une," répondit elle, "mais je ne suis pas certaine que vous la comprendrez."
"Allons bon !" dit Catholicus en souriant, "voilà que vous me prenez pour un idiot."
"Pas le moins du monde, Capitaine," répondit Janice, "seulement, pour vous expliquer cela, je dois évoquer des concepts scientifiques probablement encore inconnus là d'où vous venez."
"Essayez toujours." la défia-t-il d'un ton espiègle.
Janice se couvrit le visage des mains en prenant sa respiration, visiblement, elle ne savait pas par où commencer.
"Tout d'abord," se hasarda-t-elle, "il faut savoir qu'il existe d'autres univers que celui que vous connaissez, je n'ai pas menti en vous disant que je venais de la Terre, mais celle d'où je viens n'est pas la même que la vôtre."
"Mmmh, oui," répondit Catholicus, "continuez."
"Il existe des millions d'univers, beaucoup sont exactement semblables, avec des doubles de nous mêmes qui accomplissent les mêmes choses, simultanément  ou en différé, d'autres connaissent des variations plus ou moins importantes."
"Vous voulez dire qu'en ce moment, il y a quelque part un autre Théodorus et une autre Janice en train de parler ?"

 


"Il y en a même plusieurs, un nombre infini en réalité ; des millions de Théodorus et des millions de Janice ont actuellement cette conversation, dans certains univers, j'ai peut être les cheveux plus courts ou plus longs, de même pour vous, selon les univers, vous serez vêtu de façons différentes, vous porterez la barbe ou vous serez glabre comme vous l'êtes actuellement."
Catholicus avait beaucoup de mal à envisager ces perspectives de la réalité, surtout avec Absolvus en train de marmonner à côté de lui, le moment était vraiment mal choisi pour s'impatienter :
"Vous allez vous décider à me traduire ce qu'elle vous a dit ?"
"Fichez moi donc la paix, Centurion !" le rabroua-t-il, "j'ai besoin de concentration pour comprendre ce qu'elle me dit et ce n'est guère facile." puis, s'adressant à la femme :  "veuillez continuer, très chère, vous me disiez qu'il existe des millions d'univers dont certains ressemblent au notre."
"Oui, l'ensemble de ces univers est appelé Multivers, il constitue la totalité de ce qu'on peut appeler la Création et dont vous ne percevez qu'une infime fraction limitée à votre propre univers."

 


"L'univers d'où vous venez est il très différent de celui-ci ?"
"En effet, la Terre d'où je viens est très différente, notre époque n'est pas la même, d'après votre habillement et votre bateau, je dirais que chez vous, nous sommes à la fin du quinzième début du seizième si je ne me trompe pas ?"
"Nous sommes partis de la Terre en 1510, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis, on perd la notion du temps dans l'espace. "
"À qui le dites vous !" s'exclama Janice en riant, "sur ma Terre, nous vivons à une époque plus tardive, un peu plus de six siècles après vous, à la fin du vingt et unième siècle."
"Comment êtes vous venue dans notre univers et à notre époque ?"
"Nos savants ont créé un trou de vers, un passage si vous préférez, entre les univers du Multivers. Comme beaucoup de mes semblables, je l'ai emprunté pour venir ici. "

 


"Pourquoi venez vous ici, vous et vos semblables ? N'avez vous pas compris que vous vous y faites exterminer ?"
"Nous le savons très bien, nous avons envoyé des sondes dans votre univers avant de tenter de nous y rendre nous mêmes, nous sommes conscients que nos chances de survie sont extrêmement réduites, mais nous n'avons pas le choix."
"Comment cela ?"
"En venant ici, nous sommes quasiment certains de mourir, en restant dans notre univers, nous sommes absolument certains de mourir. Le Multivers auquel nous appartenons vous et moi est en train de subir un cataclysme sans précédent, du moins à notre connaissance, cela s'est peut être déjà produit, mais c'est difficile à savoir. "
"De quel genre de cataclysme s'agit il ?"
"Une brume blanche s'étend d'univers en univers, et tout ce qui s'y retrouve absorbé se dissout dans le néant. Sur son passage, ne reste qu'un vide immense dans lequel se retrouvent aspirés les univers épargnés, ils se fracassent alors les uns contre les autres et finissent par s' amalgamer, créant de nouveaux univers chaotiques résultant de la combinaison de plusieurs réalités et époques différentes."
"Sommes nous menacés aussi par cette brume blanche ?"
"Pas dans l'immédiat, vous n'êtes pas sur sa trajectoire et vous en trouvez suffisamment loin pour ne pas subir l'attraction du vide causé par la disparition de plusieurs milliers d'univers. Pour l'instant, votre zone du Multivers est stable et le restera tant qu'aucune calamité cosmique n'y surviendra."
"C'est pour cela que vous y cherchez refuge, même si vous y trouvez la mort ?"
"Si votre bateau coulait en mer, ne chercheriez vous pas refuge sur la première île venue, même s'il y a un volcan en éruption dessus ?"
"Je comprends, mais comment se fait il que vous soyez si nombreux à venir depuis des millénaires, votre nombre ne se réduit donc jamais malgré le temps et l'extermination systématique dont vous êtes l'objet ?"
"La brume blanche détruit des milliers et des milliers d'univers depuis des milliers et des milliers d'années, parmi eux, des milliers sont des versions plus ou moins semblables au mien, eux aussi ont créé un trou de vers menant à votre univers, qui se trouve être la destination commune à tous ces passages."
"Il y a donc d'autres versions de vous même qui sont déjà venues ?"
"Oui, des milliers et des milliers de Janice, comme je vous l'ai dit, mais il semble que je sois l'unique version à avoir survécu. Imaginez, notre parcours est vertigineux, tous les trous de vers aboutissent dans votre Voie Lactée, emportés par l'élan de notre chute dans le vortex, nous la traversons d'une traite sans pouvoir nous arrêter avant de nous retrouver dans le réseau mortel des constellations et sous le feu des planètes du système. "
"Vous ne pouvez pas venir dans un vaisseau comme le nôtre avec lequel vous pourriez contrôler votre trajectoire ?"
"Impossible, les trous de vers sont trop étroits, il y a juste la place pour laisser passer quelques dizaines de personnes à la fois. Si l'on pénétrait dans un univers semblable au mien dans ces conditions, il n'y aurait absolument aucune chance de survivre ; les lois physiques sont très différentes dans le vôtre, il est beaucoup plus petit et il y a de l'air respirable dans l'espace interplanétaire, ce qui est inconcevable chez nous."
"Notre univers diffère du vôtre à ce point ?"
"Vous n'avez pas idée, toutes les possibilités concevables par l'esprit humain, même celles qui nous semblent les plus fantaisistes existent, comme votre univers Ptoléméen avec la Terre au centre et le soleil qui tourne autour."
"Pourquoi ? N'en est il pas ainsi dans tous les univers ?"

 


"Non, en effet, nos sondes ont même repéré des univers où la Terre est un plateau soutenue par quatre éléphants sur le dos d'une tortue géante. Mais la majorité des autres ressemblent à celui d'où je viens, en général, ils sont infiniment plus grands, la Terre y fait mine d'un grain de poussière qui gravite humblement avec les autres planètes autour du Soleil."
"Dans quelle circonstances êtes vous arrivée dans notre univers ?"
"J'étais encore une enfant quand les savants de mon monde, comme ceux de milliers de mondes parallèles, ont découvert un passage sur le Multivers et le moyen de communiquer d'un univers à l'autre. Ils ont envoyé des sondes dans plusieurs régions du Multivers hors de la portée de la brume, c'est ainsi qu'ils ont découvert votre univers qui nous a semblé si étrange au premier abord, mais qui était le seul dans lequel on pouvait s'introduire en ayant une chance infime de survie.
La menace se précisait chaque jour, même si la brume était encore loin dans notre univers,  son influence commençait à se faire sentir, l'équilibre des galaxies et orbites de leurs astres était déjà perturbé, provoquant des cataclysmes un peu partout sur les planètes et les étoiles.
Dans notre propre système, les éruptions solaires devenaient de plus en plus fréquentes et l'orbite de la terre se modifiait de manière alarmante. Certes, la brume blanche était encore loin et mettrait encore des millions d'années avant de dévorer notre système, mais d'ici là, à cause du désordre gravitationnel qu'elle occasionnait, l'univers allait rapidement se transformer en amas de gravier en vrac, plus aucun ordre ni organisation en ellipse ou en spirale, finies les orbites et les trajectoires harmonieuses des corps célestes dans la nuit.
Lorsque Evgueni et ses confrères sont parvenus à ouvrir le Trou de Vers menant à votre univers, les gouvernements du monde entier se sont organisés pour évacuer la Terre le plus vite possible. Mais c'était difficile, car il n'y avait qu'un seul portail que l'on avait érigé au centre du continent européen. Comme je vous l'ai dit, on peut faire passer que quelques dizaines de personnes à la fois, Evgueni et moi sommes passés dans les premiers en sautant dans le pont Einstein-Rosen."
"Le ... ?" l'interrompit Catholicus étourdi par ce flot d'informations.
"Pardon, c'est le nom que l'on donne à ce passage. Nous nous tenions la main quand nous avons sauté, nous avons débouché dans votre Voile Lactée qui nous apparaissait comme un fantastique océan peuplé de créatures extraordinaires. Propulsés par notre élan, nous en avons surgi comme des flèches droit vers les Constellations, où Evgueni fut foudroyé en touchant un filament. Il avait lâché ma main au dernier moment, mais j'ai quand même reçu une partie de la décharge et j'ai perdu conscience. Je me suis mise à dériver et peut être aurais je péri foudroyée à mon tour au contact d'un autre filament si vous ne m'aviez trouvée et secourue."

 


"Qui était cet Evgueni qui vous accompagnait ?" demanda Catholicus, en réprimant un léger sentiment de jalousie.
"C'était mon père adoptif, quand je suis devenue orpheline à l'âge de six ans, il m'a receillie  et élevée comme sa propre fille. Il séjournait dans mon pays à l'occasion d'un congrès de savants comme lui. Il m'a trouvée dans la rue, j'étais alors une orpheline à moitié morte de faim qui vivait de mendicité, et il m'a ramenée dans son pays. Là, il m'a donné le gîte et le couvert et m'a envoyée dans les meilleurs collèges d'Europe où j'ai obtenu mon diplôme d'Astrophisycienne."
Elle sortit quelque chose d'une poche de sa combinaison, c'était un petit carré de carton qu'elle tendit à Catholicus. Il le prit délicatement entre ses mains comme une relique et l'examina avec curiosité. C'était un portrait exécuté de manière extraordinairement réaliste, il représentait Janice, souriante, revêtue d'une longue robe noire debout à côté un homme blanc d'un certain âge aux cheveux grisonnants et non moins souriant, d'un sourire radiaux, le sourire de fierté d'un père pour sa fille et ils tenaient tous les deux un document encadré.
"C'est Evgueni et moi," commenta Janice, "le jour où l'on m'a remis mon diplôme."
Comme Catholicus semblait hypnotisé par ce portrait, elle attendit un moment avant de lui demander poliment :
"Puis je récupérer ma photo, Capitaine ?"
"Votre... photo ..?"
"Le petit portrait que vous tenez entre vos mains, c'est ainsi que çà s'appelle, auriez vous la bonté de me le rendre ? C'est tout ce qui me reste de mon passé."
"Oh, bien sûr !" s'exclama Catholicus en lui tendant le carré de carton, "veuillez me pardonner, mais je n'ai jamais vu un portrait aussi bien exécuté, l'artiste est vraiment très talentueux."
Janice ouvrit la bouche comme pour expliquer quelque chose à ce sujet, mais elle se reprit et se contenta d'un "mmmh" en remettant la photo dans sa poche.
"Tout cela est vraiment difficile à croire !" dit Catholicus.
"Pensez vous que l'idée de voyager dans l'espace avec un bateau me semble plus crédible ? Même si vous lui avez ajouté des ailes," répondit Janice, " comment avez vous fait pour quitter la terre ? Il vous faudra m'expliquer ce mystère, Capitaine."
"Je me ferais un plaisir de vous expliquer tout cela." lui proposa-t-il.
"J'en serai ravie," répondit Janice "j'aimerais seulement me reposer un peu auparavant."
"Ma cabine est à votre disposition, vous y êtes chez vous, quant à moi, j'irai m'installer dans le quartier des officiers."
"Je ne veux pas vous causer de dérangement."
"Pas le moins du monde, je peux vous l'assurer, le quartier des officiers est très confortable. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à demander, si vous voulez me voir, bien souvent, je suis sur le pont."
"Je vous remercie Capitaine."
"À bientôt, Dame Janice."
"À bientôt, Capitaine Catholicus."

 

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