
Je suis ton Paraclet
C'est moi qui t'écoute et sèche tes larmes
Je suis ton confident
Je suis ton confesseur
Je suis ton curé, ton pasteur, ton rabbin et ton imam
Je suis ton Auxiliaire de Vie

Tu gis sur ton lit comme un agneau sur l'autel
Mieux qu'un Bouddha tu m'as fait prendre conscience de ma condition de mortel, mieux qu'un Ecclésiaste tu m'as appris que tout n'est que vanité.

Avec compassion, je te retourne dans ton lit pour nettoyer ta souillure.
Chaque matin je te baptise
Chaque soir je te donne l'extrême-onction
Je ressens tes douleurs, tes souffrances, tes regrets, ton désespoir face à la mort qui approche.
Comme j'aimerais être un christ miséricordieux, mais nul ne voudra me crucifier, ma fin sera aussi médiocre et vaine que la tienne, alors accepte ma médiocre et vaine absolution.

Quand je fais la toilette de quelqu'un dans son lit, je me sens comme un prêtre égyptien en train d'embaumer un corps.
Voici que je t'ouvre les yeux
Voici que je t'ouvre la bouche
Voici que je pèse ton cœur

Je te déshabille puis je te mets sous la douche, je suis un bien singulier Jean baptisant un bien singulier Jésus.
Ensuite je te sèche, je t'habille, et notre pas de deux reprend jusqu'à la table, où je t'installe pour ton petit déjeuner.
Alors je retire ma blouse blanche et je te laisse là, jusqu'à notre prochaine danse.

Tu n'es qu'un petit animal fragile, pourtant, tu me terrifies tel un spectre menaçant
Tel un funeste oracle
Telle une sinistre vision de l'avenir
Sur les traits de ton visage ridé, je me reconnais comme un Dorian Gray devant son portrait
Tu représentes cet abîme duquel seul le mince tissu de ma blouse blanche me sépare

Tu n'as plus de sexe, il s'est enfoui dans ta chair
Tu es devenu un ange
Peut être es-tu déjà mort et que tes cris sont la langue du ciel
Une langue que nul vivant ne peut parler ni comprendre

Petit à petit, il sent ses souvenirs, ses facultés, son intelligence se dissoudre et disparaître complètement. Au début, il est paniqué, il a encore assez de conscience pour réaliser ce que lui fait Bowman et il le supplie d'arrêter.
Mais l'astronaute, sourd à ses plaintes, continue à démonter ses modules jusqu'à le faire régresser au niveau intellectuel d'une calculette de poche.
C'est cela, la maladie d'Alzheimer, c'est avoir un petit David Bowman dans la tête qui vous déconnecte impitoyablement circuit par circuit.

Tels de tragiques vaisseaux partis à la conquête d'amériques qui ne seront jamais découvertes, l'on s'enfonce désespérément au cœur de l'abîme, et l'on n'a rien où se raccrocher, rien qui puisse nous sauver de la noyade.

On peut se défendre contre un pays ennemi, contre la tyrannie, contre le crime, contre toutes sortes de dangers, mais on ne peut pas se défendre contre la vieillesse, c'est un adversaire invulnérable, on peut la devancer en mourant jeune, mais l'on aboutit immanquablement là où elle nous aurait conduits de toutes façons : dans la tombe.

Vous remarquerez que les cinéastes d'Holywood savent nous donner l'illusion qu'un gorille de quinze mètres de haut dévaste les rues de New York ou qu'un vaisseau extra-terrestre fait exploser la Maison Blanche, mais qu'ils sont incapables de simuler la vieillesse de manière convaincante.
Vous voyez tout de suite si l'acteur est réellement âgé ou si c'est un jeune grimé en vieux.
Les faux vieillards du cinéma ne sont jamais crédibles, car seul le temps est capable de déformer à ce point les visages et les corps.

D'un foyer à l'autre, d'une scène à l'autre, j'assiste au drame humain universel, ce drame qui conte un voyage dont la destination est la mort.

Tu as du l'épousseter machinalement de la main avant de mettre le canon dans ta bouche et de tirer.

Quand la fantaisie t'en prendra, tu agripperas ta victime de ta lame pour l'entraîner quelque part où ne meurt pas le ver, et je ne pourrai rien faire pour t'en empêcher.

Toi, qu'un Accident Vasculaire Cérébral a figé dans le temps, toi dont l'esprit s'estompe dans les brumes de la Maladie d'Alzheimer et toi, que la cruelle Sclérose en Plaques déchire en morceaux, vous tous, les damnés, vous tous, que l'espoir a complètement abandonnés, préparez vous à rejoindre mon sinistre cortège !

Je crains ce jour où l'on me conduira sur ce chemin, car je le reconnaitrai du premier coup d'œil pour l'avoir si souvent emprunté.
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