Son Smartphone mugissait sur sa table de nuit, il l'avait mis en silencieux, mais le meuble amplifiait la vibration comme une caisse de résonnance et cela le réveilla. Il faisait jour, quelle heure était il ?
Ménuin attrapa le téléphone d’un geste rageur et prit la communication : c’était René Printemps, un collègue journaliste qui travaillait pour un grand quotidien belge.
"Salut, mon vieux, çà roupille ?"
"Ouais, je me suis couché tard. J’ai fait un drôle de rêve. Quelle heure il est ?"
"Çà dépend, à Montréal ou à Paris ?"
"Pourquoi ? Tu es à Montréal ?"
"Ouaip, et normalement, tu devrais y être aussi."
"Qu’est-ce que tu racontes ?"
"T’es pas au courant ? Ton vieil ennemi Isar alias Etienne Morillon, le gourou qui prétend communiquer avec les extraterrestres, eh bien il donne une conférence de presse dans trois jours, ici, à Montréal, il a invité deux cent journalistes du monde entier, dont toi et moi. »
"Ah oui ? »
"Il a du t’envoyer une invit’ »
"Je sais pas," répondit Ménuin, "j’ai pas regardé mon courrier."
"T'as pas reçu un e mail en début de semaine ?"
"Si, je crois, mais je l'ai pas ouvert, j'en ai un peu ma claque de Morillon."
"Eh bien, jette un œil."
Ménuin ramassa son PC, toujours en veille, par terre à côté de son lit. Effectivement, il avait reçu un message de l'Église Isarienne daté du début de semaine, alors il dit à Printemps :
"Je viens de me réveiller, l'écran me fait mal aux yeux, tu peux me dire de quoi il s'agit cette fois ? Encore un bébé cloné ? »
"Aucune idée, en tous cas, il affirme qu'il va faire une révélation extraordinaire et qu’il en apporterait les preuves. D'après lui, il s'agit de quelque chose qui va bouleverser l'humanité. Viens me rejoindre, on verra ensemble ce que c'est."
"Non," répondit Ménuin, "j'ai pas trop envie de me faire chier à aller à Montréal écouter les conneries de Morillon, en plus, le CA de ma chaîne va faire la gueule si je me paie un billet d'avion pour le Canada à ses frais."
"Pas besoin, il t'a envoyé un billet de première classe sur un appareil de la Fly Emirates, avec une réservation dans un grand hôtel et une carte de crédit American Express, regarde ton courrier."
Ménuin se leva et se mit à chercher dans des enveloppes étalées par terre ; tout le courrier qu'il avait reçu depuis presque un mois et qu'il n'avait toujours pas ouvert. Une enveloppe se distinguait des autres par le timbre à feuille d'érable rouge.
Il l'ouvrit et en sortit une lettre à en-tête de l'Église Néo-Évhémériste Isarienne avec son symbole : une étoile de David insérée dans un triangle accompagnée d'un billet de la Fly Emirates aller-retour Paris-Montréal, ainsi que la réservation d'une suite dans un grand hôtel de la ville, tous frais payés d'avance et une carte de crédit American Express à son nom.
Il reprit Printemps au téléphone :
"Tu as raison, je l'ai reçu il y a quelques jours. Où a-t-il trouvé le fric pour tout çà ? Il se fait vraiment pas chier. Ça me surprend qu'il m'invite."
"Il a pas l'air de trop t'en vouloir."
"Après tout, je lui ai rendu service, bien involontairement. Eh bien, je crois que je vais lui rendre la politesse et te rejoindre, on pourra mener la grande vie pendant trois jours à ses frais. Et puis j'ai rien d'urgent sur le feu en ce moment."
Il commença à rassembler ses affaires disséminées dans l'appartement qui gardait les traces d'une vie de famille passée. Une dizaine d'années auparavant, son épouse et leur fille de dix ans s'étaient tuées dans un accident de voiture, alors qu'il était en reportage en Afrique.
Sa petite Tiphaine aurait eu vingt ans aujourd'hui, il se hâta de chasser cette pensée, il ne s'était jamais remis de cette tragédie, et il se réfugiait dans son travail de journaliste d'investigation pour oublier.
Il y avait de cela trois ou quatre ans, Grégoire Ménuin avait mené une enquête sur l'Église Néo-Évhémériste Isarienne, la secte d'Etienne Morillon, qui se prétendait le porte-parole d'une race extraterrestre. Ses recherches avaient révélé non seulement une importante fraude fiscale mais aussi une affaire de pédophilie qui mit à mal le gourou, au point de l'obliger à quitter la France pour échapper aux poursuites judiciaires.
Il s'était réfugié au Canada, où il avait rencontré une audience encore plus favorable qu'en France et où les portes du reste du continent américain s'ouvrirent à lui, notamment les très excentriques États Unis toujours friands de ce genre de personnage.
Du coup, son église prospéra plus que jamais, il ouvrit des succursales à New York, Phoenix, San Francisco et même à Salt Lake City, en pleine terre mormone. Le pire, c'est que c'était Ménuin l'artisan de cette réussite, comme il l'avait précisé, un artisan bien involontaire.
La conférence de presse
Morillon avait publié l'annonce de sa conférence de presse sur le site de l'Église Néo-Évhémériste Isarienne et les autres médias avaient relayé l'information. À grands frais, il avait convié deux cent des plus éminents journalistes du monde entier, dont Grégoire Ménuin, son ennemi juré.
La plupart d'entre eux n'auraient jamais daigné se déplacer pour écouter un farfelu comme Morillon, c'était pour eux une insulte, eux qui étaient habitués à couvrir des sujets autrement plus prestigieux que les divagations d'un illuminé. Mais Morillon offrait à chacun un aller-retour en première classe sur une ligne de la Fly Emirates, trois nuits en pension complète dans un hôtel de luxe et une carte American Express à leur nom avec un crédit illimité pour leurs loisirs durant les jours qui précédaient la conférence de presse.
Il n'y avait pas à dire, il faisait les choses en grand. Où donc avait il trouvé l'argent pour se permettre de telles largesses ? Les cotisations et les dons des disciples n'y auraient suffi, même s'ils assuraient une manne financière confortable, quelque milliardaire excentrique avait peut être financé tout cela.
Quoiqu'il en fut, s'il déployait de pareils moyens, c'était pour dire quelque chose d'important, et partout dans le monde, dans les shows télévisés, sur les réseaux sociaux ou en privé, les conversations allaient bon train sur le gourou aux extraterrestres et sur ses lubies. On se demandait ce qu'il allait annoncer, il avait laissé entendre que ce serait une révélation qui allait bouleverser l'humanité.
Seulement, on connaissait la chanson ; la dernière fois qu'il devait faire une révélation sensée bouleverser l'humanité, c'était pour annoncer la naissance d'un bébé cloné. Comme sa secte finançait des recherches en génétiques, c'était plus ou moins crédible, et en dépit du scepticisme général, on avait espéré quelque chose de significatif à l'époque.
Mais il ne s'agissait que d'une supercherie, une vulgaire supercherie telle que l'on aurait du s'attendre de sa part. Les journalistes qui s'étaient déplacés ce jour là aux frais de leurs agences étaient furieux de s'être dérangés pour rien, et avaient juré de ne plus se laisser avoir par ce charlatan.
Personne ne le prenait plus au sérieux, bien que secrètement, chacun avait envie de savoir ce qu'il avait inventé cette fois ci. S'il n'avait offert ces deux cent billets d'avion en première classe, ces deux cent cartes de crédit illimité et ces six cent nuits d'hôtels de luxe, il est fort probable que Morillon se fut retrouvé devant une salle vide.
Ménuin et Printemps furent tous les deux logés au Ritz Carllton de Montréal, pendant trois jours, ils menèrent une vie de nababs grâce aux cartes de crédit offertes par le généreux gourou, puis, le jour venu, une Limousine avec un chauffeur en livrée vint les prendre à leur hôtel et les emmena à l'endroit où devait avoir lieu la conférence de presse.
Étrangement, ce n'était qu'une simple salle des fêtes dans le centre-ville de Montréal, ils étaient tous surpris de la sobriété et de la modestie de la réception, il n'y avait même pas de buffet. De la part de Morillon, ils étaient habitués à une mise en scène pompeuse et tonitruante, avec maquette de soucoupe volante, musique à la Star Trek et tout le bazar, là, on se serait cru à une réunion syndicale. Aucun décor, aucune affiche, juste des tables sur une estrade et des chaises devant.
La conférence commençait à onze heures du matin, Ménuin et Printemps étaient arrivés à dix heures et demi, dans la demi heure qui suivit, leurs collègues arrivèrent et bientôt, le panel de deux cent journalistes fut au complet. Aucun n'était absent ni en retard, tous avaient hâte de savoir de quoi il en retournait cette fois, même s'ils s'attendaient encore à une déception.
Une fois que tout le monde fut installé, Morillon en personne entra, revêtu, comme à l’accoutumé, de sa combinaison blanche avec le "symbole de l'éternité", l'étoile de David dans un triangle, brodé sur la poitrine, il était accompagné de deux hommes, vraisemblablement des membres de l'église, habillés comme lui.
D’habitude, quand il arrivait, il était radieux et souriant, aujourd’hui, il avait une expression grave et un air préoccupé qui détonait de son personnage.
Il s’assit avec ses compagnons à la table du podium, face aux journalistes, et commença à parler d’un ton monocorde, comme s’il lisait un prompteur sans comprendre le sens des mots. Il semblait assez agité, car il n'arrêtait pas de consulter sa montre comme s'il attendait quelque chose.
Il rappela brièvement ses théories sur les origines de la vie terrestre créée par des savants extraterrestres en laboratoire, sa rencontre avec eux trente ans auparavant et sa mission, à la lenteur avec laquelle il parlait, on sentait qu'il faisait volontairement durer les choses.
Enfin, quand il fut parvenu à combler presque une heure, il évoqua l'arrivée imminente des extraterrestres et l'avènement de l'Âge d’Or, comme il le faisait toujours dans ses conférences, mais cette fois, il ajouta :
"Ce jour est enfin venu, dans quelques minutes, vous aurez la preuve que j’ai dit la vérité."
On se serait attendu à plus d’emphase de sa part pour ce genre d'annonce, il était presque midi, les quelques minutes en question passèrent lentement, très lentement dans un silence total. Il y eut un murmure d'impatience parmi les journalistes. L’un d’eux lança :
"Alors, Morillon, elle vient, votre preuve ?"
Morillon, qui n'avait pas quitté sa montre des yeux, fit signe à l'assistance de patienter encore un peu, puis midi sonna à un clocher des environs, alors il prit une grande inspiration, et en tremblant, il dit :
"Messieurs-Dames, je vous suggère de sortir et de regarder le ciel."
À peine eut il prononcé ces mots qu’on entendit des cris, des crissements de pneus et des chocs de voitures à l’extérieur. Les journalistes lancèrent un regard inquiet à Morillon, pâle comme un mort, les yeux fermés et le front luisant de sueur.
Ils sortirent à grands pas dans la rue où régnait une panique indescriptible, les gens couraient dans tous les sens en hurlant, les voitures s'emboutissaient les unes les autres dans un fracas métallique, des sirènes et des klaxons résonnaient de partout, c'est alors qu'il levèrent la tête et virent ce qu'ils ne se seraient jamais attendus à voir : une armada de soucoupes volantes qui emplissait le ciel comme dans un mauvais film de science-fiction.
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Au même moment, les programmes de télévision s'étaient interrompus dans le monde entier, un personnage aux long cheveux blonds était apparu sur les écrans et avait déclaré dans toutes les langues de la terre :
"Mon nom est Eluel, je viens d'une planète lointaine, j'appartiens au peuple des Séraphim, nous venons en paix !"
Puis le visage de l'étranger avait disparu et les émissions avaient repris leur cours, mais elles furent à nouveau interrompues par des flashs spéciaux retransmettant les images des soucoupes volantes qui avaient envahi le ciel canadien, suivie de cette annonce que beaucoup espéraient ou appréhendaient depuis longtemps :
"C'est officiel, nous ne sommes pas seuls dans l'univers, les extraterrestres existent et ils viennent de débarquer."
Cela avait provoqué une émotion intense dans le monde entier, les sceptiques qui croyaient encore à un canular durent bientôt se rendre à l'évidence, car l'armada de soucoupes volantes avait survolé les grandes villes de la terre ; New York, Washington, Philadelphie, Saint Louis, San Francisco, Mexico, Rio de Janeiro, Tokyo, Pékin, Téhéran, Ryad, Jérusalem, Le Caire, Bombay, Islamabad, Istanbul, Athènes, Rome, Berlin, Copenhague, Londres, Bruxelles, Amsterdam, Luxembourg, Paris, Madrid, Lisbonne, Rabat, Alger, Dakar, Djibouti, Pretoria, Auckland ou Sidney pour ne citer qu'elles, mais il n'y eut pratiquement aucun endroit sur la planète où on ne les vit passer au dessus de sa tête avec un doux sifflement.
L'Église Néo-Évhémériste Isarienne
Qui était donc cet Etienne Morillon, et qu'était cette Église Néo-Évhémériste Isarienne ? C'était ce que l'on peut, ni plus ni moins, qualifier de secte, elle comptait à peu près vingt-cinq mille membres à travers le monde, et connaissait une certaine prospérité.
Tout cela avait commencé une trentaine d'années auparavant, à l'époque, Etienne Morillon n'avait que vingt sept ans, après une courte incursion dans le milieu du show business comme chanteur de charme, il vivait à Lyon où il exerçait le métier d'ingénieur automobile, .
Dans son livre, "La Vérité Absolue", il raconte comment, par un après-midi d'été, il rentrait chez lui en passant par une route départementale, le moteur de sa voiture s'était arrêté inexplicablement et ne pouvait plus à redémarrer.
C'est alors qu'une soucoupe volante, qui avait la forme d'une cloche aplatie argentée et très luisante, surgit de derrière une colline et vint se poser devant lui. Une sorte de trappe s'ouvrit en dessous et un escalier se déplia, par lequel descendit un individu que Morillon décrit comme un homme de taille moyenne vêtu d'une combinaison blanche avec une étoile de David insérée dans un triangle brodée sur la poitrine. Il avait un visage allongé, imberbe à la peau très pâle, des yeux gris légèrement en amande et de longs cheveux d'un blond très clair tirant sur le blanc qui lui retombaient sur les épaules.
Cette description était accompagnée d'un dessin maladroit de l'auteur lui-même où il représentait l'extraterrestre devant sa soucoupe volante.
L'individu, qui se dénommait Eluel, appartenait au peuple des Séraphim et venait d'une planète située à deux cent mille années lumières de la terre, dans le Petit Nuage de Magellan. Il lui aurait révélé être déjà venu avec les siens sur la Terre, plusieurs millions d'années auparavant, alors qu'elle n'était qu'une roche stérile sans vie, sans atmosphère, bombardée par les rayons mortels de l'espace, et qu'ils l'avaient entièrement terra-formée.
Grâce à une technologie d'un niveau inconcevable pour nous, ils avaient d'abord modifié sa trajectoire autour du soleil pour la placer en zone habitable, c'est à dire suffisamment loin pour ne pas être calcinée et suffisamment près pour ne pas geler, ils lui avaient ensuite imprimé un mouvement rotatif sur un axe légèrement incliné avec des bombes nucléaires très puissantes, puis ils avaient déclenché la fusion de son noyau central et l'avaient fait tourner dans le sens inverse de sa rotation, ce qui créa le champ magnétique qui la protégeait des rayons cosmiques.
Ils avaient aussi formé son satellite, la lune, pour stabiliser son orbite autour du soleil.
Une fois tout ceci accompli, ils avaient apporté de l'eau, une atmosphère et la vie cultivée dans leurs laboratoires.
Ils avaient ainsi conçu tous les êtres vivants qui existent ou ont existé, se livrant à des expériences qui n'avaient pas toutes réussi, comme les dinosaures par exemple, avant de créer l'homme à leur image.
Par la suite, les Séraphim intervinrent à plusieurs reprises dans l'évolution de l'humanité, nos ancêtres primitifs les prirent alors pour des dieux.
Ces "dieux" auraient été créés de façon identique par une autre race de "dieux" qui les ont précédés, eux-mêmes créés par d'autres "dieux" et ainsi de suite, formant une chaine infinie dans le temps et dans l'espace, (on retrouve un concept similaire dans la doctrine de l'Exaltation chez les mormons).
L'idée d'une race extraterrestre à l'origine de notre civilisation n'était pas neuve, elle était inspirée de la Théorie des Anciens Astronautes, aussi appelée Néo-Évhémérisme, en référence à Évhémère, un mythographe grec du troisième siècle avant note ère, qui pensait que les dieux de la mythologie n'étaient en fait que des humains dont on avait embelli les exploits au point de les diviniser.
C'est dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec la vague d'apparitions d'OVNIs, qu'est née cette théorie, popularisée par Erich von Däniken mais aussi par Robert Charroux ou George Adamski, qui affirmaient que les livres religieux comme la Bible et les récits mythologiques relataient l'intervention des extraterrestres dans l'histoire humaine, avec des termes adaptés au degré d'évolution de l'époque.
Cette Théorie des Anciens Astronautes était le cœur de la profession de foi Isarienne.
Selon l'histoire officielle de l'Église, Morillon avait rencontré les extraterrestres par deux fois au cours de sa vie ; la première, il n'avait eu affaire qu'à Eluel qui lui révéla les origines de la vie sur terre. La deuxième rencontre avait eu lieu un an plus tard, après l'avoir contacté par télépathie, Eluel lui avait donné rendez vous dans une clairière isolée.
Là, il était revenu dans sa soucoupe volante et y avait fait monter Morillon pour l'emmener sur sa planète. Selon lui, le trajet ne prit qu'un court instant, alors qu'ils franchissaient deux cent mille années lumière.
D'après Morillon, la planète des Séraphim est très semblable à la nôtre en taille, en gravité, avec la même atmosphère et une faune et une flore similaires, même s'il y a vu des êtres qui n'existent pas chez nous, notamment cet étrange petit koala bleu et vert très affectueux qui avait sauté dans ses bras à son arrivée.
Ce qui l'avait frappé, c'était l'absence totale de pollution et la nature luxuriante qui cohabitait avec des cités à la technologie ultra moderne.
La soucoupe d'Eluel avait atterri dans une clairière verdoyante parsemée d'arbres fruitiers et de fleurs multicolores, les Séraphim étaient venus l'accueillir avec de grandes démonstrations d'amitié, c'étaient des êtres merveilleux, harmonieux et pacifiques, plus tard, ils devaient lui enseigner une philosophie fondée sur le plaisir, l'amour, la connaissance et la conscience qui serait la base de sa doctrine.
A l'ombre des arbres, il y avait une grande table dressée autour de laquelle étaient installés des centaines de convives. Il fut invité à prendre place parmi eux et là, il fit la connaissance de Moïse, Jésus, Mohammed, Bouddha et de nombreux autres prophètes de l'histoire humaine qui tous, avaient été des messagers des Séraphim en leur temps. On lui expliqua qu'ils étaient toujours en vie grâce à la technique du clonage, et que que tous les humains ayant vécu sur la terre seraient un jour ramenés à la vie de cette manière, c'était la résurrection annoncée dans l'évangile.
C'est alors que les Séraphim le désignèrent comme leur nouveau prophète, et qu'il porterait désormais le nom d'Isar, ce qui signifiait "Intendant" dans leur langue. Ils lui confièrent la mission de révéler à l'humanité ses origines, lui enseigner leur mode de vie, d'encourager le progrès scientifique et technologique, mais aussi de bâtir une ambassade intergalactique destinée à les accueillir, car ils allaient revenir un jour pour inaugurer un Âge d'Or.
Ensuite, ils le ramenèrent sur Terre et repartirent aussitôt. Il ne les revit jamais depuis, mais il restait constamment en communication télépathique avec eux, ainsi, ils pouvaient continuer à lui transmettre leurs enseignements et leurs révélations.
Au début, Morillon avait réuni une dizaines de fidèles qui croyaient en son histoire, il avait appelé ce groupe "les Enfants du Cosmos" et professait ce qu'il définissait comme une "religion athée". Il avait déjà adopté le "symbole de l'éternité", celui-là même qui était brodé sur la tenue de son visiteur ; l'étoile de David insérée dans un triangle.
Plus tard, quand son mouvement prit un peu d'importance, il le rebaptisa Église Néo-Évhémériste Isarienne.
Il avait connu la consécration lors de son passage dans "Hexagone" ; il faut se rappeler qu'à l'époque, il n'y avait pas autant de chaînes qu'aujourd'hui, il n'y avait pas non plus d'internet, et que ce genre d'émission télévisée était assidument suivie par des millions de spectateurs.
"Hexagone" était un magazine de société diffusé le vendredi soir qui présentait à chaque fois une galerie de personnages plus curieux les uns que les autres ; cela pouvait être, par exemple, un cultivateur de la Gironde qui se prenait pour le Christ, un prêtre de Satan qui organisait des messes noires dans sa cave ou une voyante à qui l'esprit de Victor Hugo avait révélé que la troisième guerre mondiale allait bientôt éclater.
Morillon et son petit groupe avaient été repérés par les producteurs de l'émission grâce aux articles des journaux locaux qui en parlaient de temps à autres, et il fut invité à y participer.
On l'a vu, le milieu du spectacle ne lui était pas étranger, il savait s'adresser à un public, de plus, il avait un charisme naturel que personne ne lui contestait. Ce soir là, sur un ton posé et convaincant, il raconta son histoire en direct et ce fut un succès immédiat ; le standard de la chaine fut saturé d'appels, dans les jours qui suivirent, il reçut un abondant courrier de toute la France ainsi que de Belgique, du Luxembourg et de Suisse, il en reçut aussi d'Angleterre, d'Allemagne, des Pays-Bas et des autres pays d'Europe à qui cette soudaine renommée était parvenue, certains se déplacèrent de très loin pour le rencontrer personnellement.
En quelques semaines, le nombre de ses fidèles passa d'une dizaine à plusieurs centaines réparties dans l'Europe de l'ouest, et des succursales furent ouvertes dans les villes principales comme Paris, Bruxelles, Genève, Londres, Hambourg, ou Amsterdam...
Il fut invité de nombreuses autres fois dans des émissions de télévision et de radio, ce qui ne fit qu'augmenter son audience et son succès, il accordait des interviews à des revues mondaines et plus aucun salon ne se tenait sans lui.
Prenant soin de son image pour ses apparitions publiques, il avait adopté la combinaison d'astronaute blanche avec le symbole de sa secte brodé sur la poitrine qui allait le rendre célèbre.
Il se montrait toujours courtois envers ses détracteurs, ne se fâchait jamais, ne perdait jamais patience face aux quolibets et ne cessait de répéter inlassablement le message des Séraphim.
L'Isarisme, cette "religion athée" affinait soigneusement sa doctrine avec le temps pour la rendre plus cohérente et plus élaborée.
Morillon ne se contentait pas de disserter sur les extraterrestres et leur rôle de créateurs, il enseignait ainsi tout un mode de vie, copié sur le leur, permettant une meilleure compréhension de leur plan céleste.
Chaque jour, à heures régulières, les Isariens devaient consacrer une demi-heure à la projection de pensées positives ; il s'agissait de se concentrer simultanément, où que l'on se trouvât, en groupe ou individuellement, et envoyer des pensées positives vers le ciel, à l'adresse des Séraphim qui les percevaient, c'était un moyen de les remercier de nous avoir fait don de la vie et de les inviter à venir au plus vite établir l'Âge d'Or sur la Terre. En retour, les Séraphim envoyaient des ondes de félicité vers la Terre que les membres de la secte affirmaient ressentir avec intensité.
Ce qui contribuait beaucoup au succès de Morillon, c'était le "Tantrisme Cosmique" qu'il faisait pratiquer à ses adeptes, cela consistait en une forme de méditation bouddhiste fortement teintée d'érotisme, selon certains témoins, ces séances tournaient souvent en orgies. Morillon affirmait que cette pratique éveillait la sensualité et rendait plus réceptif au message des extraterrestres.
Lui-même profitait beaucoup de cette libération sexuelle qu'il avait instaurée, Ménuin avait révélé qu'il exerçait ainsi une sorte de droit de cuissage sur ses plus séduisantes disciples qui se disaient honorées de partager la couche d'Isar le "Maître des Maîtres", mais qui, hélas, n'étaient pas toutes majeures, ce qui lui avait attiré les foudres de la justice et l'avait obligé à se réfugier au Canada où aucune charge ne pesait contre lui.
Le modèle de société qu'il préconisait était basé sur ce qu’il appelait une "démocratie sélective", d’après lui, c’était le système politique en vigueur sur la planète des Séraphim. Dans une telle société, seules les personnes dotées d'un quotient intellectuel élevé pouvaient occuper des fonctions dirigeantes, il fallait un coefficient supérieur de 50% à la moyenne pour être éligible à la fonction publique, et de 10 % pour être simple électeur.
Il proposait de réaliser le paradis sur terre grâce à la technologie, en libérant les hommes du travail, le prolétariat et toute forme de main d’œuvre humaine qui serait remplacée par les robots et les ordinateurs.
L’adhésion à son mouvement impliquait un investissement financier important pour ses adeptes, qui lui cédaient dix pour cent de leurs revenus, auxquels s'ajoutaient de nombreux dons "spontanés". Officiellement, une majeure partie de cet argent était destiné à la construction de l'ambassade intergalactique, le reste servait aux plaisirs et aux distractions du "Maître des Maîtres".
Morillon exigeait aussi une vénération sans borne de sa personne, en effet, étant l’interlocuteur privilégié des extraterrestres, leur Élu, leur Intendant, une sorte de Messie, il avait droit à de nombreux égards et privilèges. C'était peut être un an ou deux après la création de son mouvement qu'il s’était attribué le titre de "Maître des Maîtres", et c’était ainsi qu’il convenait de s’adresser à lui désormais.
Ses conférences étaient de véritables spectacles, avec une mise en scène délirante digne d’une convention de Science-Fiction ; le rideau s'ouvrait sur la reproduction "grandeur nature" d’une soucoupe volante en bois recouverte d'aluminium et il en descendait vêtu de sa combinaison d’astronaute blanche, avec l'étoile de David insérée dans un triangle brodée sur la poitrine.
Il avait maintenant une soixantaine d’années, mais il paraissait plus jeune. Il était grand, maigre, avec de longs cheveux noirs attachés en catogan derrière la nuque et un collier de barbe finement taillé. Il était toujours radieux et souriant, son arrivée était accueillie par des applaudissements et des acclamations dignes d'une Rock-star.
Il était très difficile de prendre un tel personnage au sérieux, pourtant, il était devenu influent dans certains milieux, notamment celui des affaires.
Sa secte, finançait des recherches dans divers domaines, notamment sur le clonage humain, envers et contre toute considération éthique. Selon la foi isarienne, il serait un jour possible de réaliser une copie génétiquement identique d'un autre être humain, puis d’accélérer la maturation du clone, le faisant passer du stade de nouveau né à celui d’adulte en quelques jours, voire quelques heures, afin d'y transférer la mémoire et la personnalité de l'individu original, comme cela c'était fait pour Moïse, Jésus, Mohammed et Bouddha qu'il avait rencontrés lors de son séjour sur le monde des extraterrestres.
D'ailleurs, les disciples de Morillon avaient tous signé un contrat où ils léguaient un centimètre carré de leur os frontal à la secte après leur mort, afin d'être ressuscités par cette technique dans un avenir plus ou moins proche.
Il connut nombre d'échecs dans ce domaine, le plus désastreux de tous, ce fut l'annonce de la naissance d'un bébé cloné, mais il s'avéra qu'il s'était avancé un peu trop vite, car le bébé en question n'avait même pas été conçu.
L'affaire du bébé cloné, que Ménuin avait détaillée dans ses reportages, lui attira les sarcasmes du monde entier dans les médias et sur internet, cela aurait pu porter un coup fatal à sa crédibilité, mais Morillon n'était pas homme à se laisser abattre par ce genre de déconvenue, il ne cessa d'aller de l'avant et sa secte gagnait chaque jour plus d'adeptes en dépit des nombreuses critiques auxquelles il prêtait le flanc.
Il laissa le délicat sujet du clonage de côté quelques temps pour se consacrer à la construction de son ambassade interstellaire, car, selon lui, les extraterrestres ne tarderaient plus à revenir et se révéler à l’humanité.
Initialement, il était prévu de la bâtir en Israël, où, selon lui, les extraterrestres s’étaient beaucoup manifestés dans les temps bibliques, mais le gouvernement israélien n’avait pas accueilli pas l’idée avec l’enthousiasme escompté.
Qu’à cela ne tienne ; Morillon avait expliqué la situation à ses amis célestes qui étaient très compréhensifs, ils lui avaient alors permis de construire l’ambassade interstellaire là où il habitait : au Québec.
Dans les Laurentides, au nord de la province, il avait acheté un immense terrain de nature sauvage à bon prix et fait déboiser des centaines d'hectares pour construire des bâtiments aux lignes futuristes et une piste d’atterrissage circulaire pour les soucoupes volantes.
Cette ambassade, faute d'abriter des extraterrestres, lui servait de forteresse où il avait installé ses quartiers, ses accès étaient gardés par une sorte d'armée privée comme la frontière d'un état.
Tout cela avait coûté une fortune, mais l'église disposait d'excellents comptables sachant étaler les dépenses.
Morillon était un homme intelligent et cultivé doté d’une imagination fertile. Pour ses nombreux détracteurs, il avait trouvé le moyen de s’enrichir grâce à la naïveté humaine en faisant croire qu'il était l'élu des extraterrestres. Les gens raisonnables le considéraient comme un vulgaire affabulateur, seulement, personne ne prévoyait l'éventualité que de véritables extraterrestres s’intéressent à lui.
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