Je suis ton Consolateur
Je suis ton Paraclet
C'est moi qui t'écoute et sèche tes larmes
Je suis ton confident
Je suis ton confesseur
Je suis ton curé, ton pasteur, ton rabbin et ton imam
Je suis ton Auxiliaire de Vie
Tu es mon offrande
Comme le prêtre revêt sa chasuble, je revêts ma blouse blanche pour exercer mon sacerdoce
Tu gis sur ton lit comme un agneau sur l'autel
Je te lave, je te parfume, je te mets des habits propres
Tu es mon offrande, tu es mon sacrifice
Mieux qu'un Bouddha tu m'as fait prendre conscience de ma condition de mortel, mieux qu'un Ecclésiaste tu m'as appris que tout n'est que vanité.
Chaque matin je te baptise...
Je revêts ma blouse blanche comme un prêtre sa chasuble, puis je dénude ton corps usé par le temps, ton vieux corps ravagé par la vie.
Avec compassion, je te retourne dans ton lit pour nettoyer ta souillure.
Chaque matin je te baptise
Chaque soir je te donne l'extrême-onction
Je ressens tes douleurs, tes souffrances, tes regrets, ton désespoir face à la mort qui approche.
Comme j'aimerais être un christ miséricordieux, mais nul ne voudra me crucifier, ma fin sera aussi médiocre et vaine que la tienne, alors accepte ma médiocre et vaine absolution.
Je pèse ton cœur
Quand je fais la toilette de quelqu'un dans son lit, je me sens comme un prêtre égyptien en train d'embaumer un corps.
Anubis se tient à mes côtés
Voici que je t'ouvre les yeux
Voici que je t'ouvre la bouche
Voici que je pèse ton cœur
Danse Macabre
Je te réveille et te prends par la main, dans ma tête résonne encore la "Danse Macabre" de Saint-Saëns que j'ai écoutée ce matin, une danse qui commence à ton lit, se poursuit dans l'escalier, se prolonge dans le salon et s'interrompt dans la salle de bain.
Je te déshabille puis je te mets sous la douche, je suis un bien singulier Jean baptisant un bien singulier Jésus.
Ensuite je te sèche, je t'habille, et notre pas de deux reprend jusqu'à la table, où je t'installe pour ton petit déjeuner.
Alors je retire ma blouse blanche et je te laisse là, jusqu'à notre prochaine danse.
Tel un funeste oracle
Je te fais manger à la cuillère comme l'on donne la becquée à un oisillon
Tu n'es qu'un petit animal fragile, pourtant, tu me terrifies tel un spectre menaçant
Tel un funeste oracle
Telle une sinistre vision de l'avenir
Sur les traits de ton visage ridé, je me reconnais comme un Dorian Gray devant son portrait
Tu représentes cet abîme duquel seul le mince tissu de ma blouse blanche me sépare
Tu es devenu un ange
La maladie d'Alzheimer t'a rendu ton innocence, elle t'a absous de tes péchés
Tu n'as plus de sexe, il s'est enfoui dans ta chair
Tu es devenu un ange
Peut être es-tu déjà mort et que tes cris sont la langue du ciel
Une langue que nul vivant ne peut parler ni comprendre
HALzheimer
Vous souvenez vous de cette scène, dans "2001, l'odyssée de l'espace", quand l'ordinateur HAL se fait démanteler par David Bowman ?
Petit à petit, il sent ses souvenirs, ses facultés, son intelligence se dissoudre et disparaître complètement. Au début, il est paniqué, il a encore assez de conscience pour réaliser ce que lui fait Bowman et il le supplie d'arrêter.
Mais l'astronaute, sourd à ses plaintes, continue à démonter ses modules jusqu'à le faire régresser au niveau intellectuel d'une calculette de poche.
C'est cela, la maladie d'Alzheimer, c'est avoir un petit David Bowman dans la tête qui vous déconnecte impitoyablement circuit par circuit.
Le naufrage de la vieillesse
Il est vrai que la vieillesse est un naufrage, je l'ai souvent constaté.
Tels de tragiques vaisseaux partis à la conquête d'amériques qui ne seront jamais découvertes, l'on s'enfonce désespérément au cœur de l'abîme, et l'on n'a rien où se raccrocher, rien qui puisse nous sauver de la noyade.
La pire des violences
La vieillesse est la pire des violences infligée à l'homme, infligée par une nature impitoyable contre laquelle on ne peut rien.
On peut se défendre contre un pays ennemi, contre la tyrannie, contre le crime, contre toutes sortes de dangers, mais on ne peut pas se défendre contre la vieillesse, c'est un adversaire invulnérable, on peut la devancer en mourant jeune, mais l'on aboutit immanquablement là où elle nous aurait conduits de toutes façons : dans la tombe.
Effets spéciaux
Le temps nous métamorphose en hideuses créatures qu'aucun studio hollywoodien n'arriverait à reproduire, en dépit des effets spéciaux les plus sophistiqués.
Vous remarquerez que les cinéastes d'Holywood savent nous donner l'illusion qu'un gorille de quinze mètres de haut dévaste les rues de New York ou qu'un vaisseau extra-terrestre fait exploser la Maison Blanche, mais qu'ils sont incapables de simuler la vieillesse de manière convaincante.
Vous voyez tout de suite si l'acteur est réellement âgé ou si c'est un jeune grimé en vieux.
Les faux vieillards du cinéma ne sont jamais crédibles, car seul le temps est capable de déformer à ce point les visages et les corps.
Le drame humain
D'un foyer à l'autre, d'une scène à l'autre, j'assiste au drame humain universel, ce drame qui conte un voyage dont la destination est la mort.
Le fusil poussiéreux
La dernière fois où je t'ai vu, tu avais l'air serein. Mais tu faisais semblant, jusqu'à ce matin, quand tu as passé ton bras entre le frigo et le mur pour prendre ton fusil, ce vieux fusil poussiéreux que je regardais souvent sans jamais oser y toucher.
Tu as du l'épousseter machinalement de la main avant de mettre le canon dans ta bouche et de tirer.
Vilaine Camarde
Je sais que tu es là, vilaine Camarde, avec ton manteau noir et ta grande faux. Tu attends au pied du lit, riant de toutes tes horribles dents en nous regardant maintenir ta proie en vie.
Quand la fantaisie t'en prendra, tu agripperas ta victime de ta lame pour l'entraîner quelque part où ne meurt pas le ver, et je ne pourrai rien faire pour t'en empêcher.
Le cortège des morts
Où que j'aille, de jour comme de nuit, de nombreux fantômes me suivent, spectres égarés se ralliant à ma blouse blanche comme à un étendard.
Toi, qu'un Accident Vasculaire Cérébral a figé dans le temps, toi dont l'esprit s'estompe dans les brumes de la Maladie d'Alzheimer et toi, que la cruelle Sclérose en Plaques déchire en morceaux, vous tous, les damnés, vous tous, que l'espoir a complètement abandonnés, préparez vous à rejoindre mon sinistre cortège !
L'Ankou en blouse blanche
Tel un Ankou en blouse blanche, j'accompagne les autres vers la mort.
Je crains ce jour où l'on me conduira sur ce chemin, car je le reconnaitrai du premier coup d'œil pour l'avoir si souvent emprunté.
Dieu avait installé une forteresse au milieu des montagnes, il n'avait placé nulle armée, nul soldat, pour la défendre, il n'avait laissé qu'un fidèle, un seul fidèle désarmé qui priait à l'entrée.
Du matin au soir et du soir au matin le fidèle priait, il s'inclinait et se prosternait sans répit et prononçait ses invocations devant la porte de la forteresse.
Pour y pénétrer on ne pouvait faire autrement que passer devant lui, mais quiconque s'y aventurait était aussitôt réduit en poussière, tant était puissante la prière du fidèle, tant ses inclinations et ses prosternations dégageaient de force, tant était redoutable le pouvoir de ses invocations.
Jusqu'à la fin des temps le fidèle ne cessera de prier.
Jusqu'à ce que le soleil s'éteigne il s'inclinera et se prosternera à l'entrée de la forteresse.
Jusqu'à ce que s'efface le ciel, il joindra ses mains en ardentes invocations.
Et aucune puissance de l'univers ne pourra passer devant lui sans être anéantie.