Mahonri Moriancumer et le doigt de Dieu

Jared avait un frère qui s’appelait Mahonri Moriancumer, mais pour plus de simplicité, nous l’appellerons Mahonri. Dire que Mahonri était un saint homme est un euphémisme, Mahonri était saint au point que Dieu, lui-même, ne pouvait rien lui refuser. Mieux : Dieu ne pouvait rien lui cacher même s’il le voulait, car Mahonri n’avait même plus la foi, qui, comme chacun le sait, est l’espérance des choses qui ne sont pas vues mais qui sont vraies, car il n’espérait plus mais savait, et ces choses qui ne sont pas vues du commun des mortels, lui, les voyait.
Si un ange de Dieu, ou Dieu lui-même se manifestait quelque part, Mahonri était le seul à le voir. Il en était de même avec les démons et le diable, qui ne pouvaient semer tranquillement le trouble parmi les hommes sans que Mahonri n’arrive pour les chasser
Cette connaissance, qui dépassait de très loin la foi ordinaire, lui donnait un pouvoir infini sur la Création. Ayant une compréhension intuitive des tenants et aboutissants de la réalité, il pouvait agir dessus par sa simple volonté.
Par exemple, quand son peuple s’enfuit de Babel, alors que Dieu confondait le langage des hommes au pied de l’orgueilleuse tour, il y avait une montagne qui leur barrait le passage. Cette montagne était appelée Zérin, elle n’existe plus aujourd’hui.
C’est Mahonri qui l’a fait disparaître ; il a simplement dit « Va-t-en ! » sans faire aucune invocation, sans aucune solennité, il lui a seulement dit : « Va-t-en ! », comme s’il chassait un chat de son siège, alors la montagne s’est arrachée du sol d’une seule masse et s’est envolée haut dans le ciel. On ne sait pas où elle est allée ; peut être a-t-elle rejoint les étoiles, ou bien s’est elle posée dans quelque lieu de la terre.
Mahonri avait quitté Babel, comme nous l’avons dit, avec son frère Jared et toute leur famille, mais ils ne savaient où aller. Jared et tout ceux qui avaient fui avec lui se tournèrent vers Mahonri, qui se tourna de côté et se mit à parler, comme s’il s’adressait à quelqu’un d’invisible. Il dit : « où devons nous aller ? » Puis, un instant après : « Merci. » Il se tourna à nouveau vers l’assistance, et, indiquant une direction, déclara : « Par là. »
Pendant qu’ils marchaient dans la direction indiquée, Jared demanda à son frère : « Qui t’a donc dit que nous devions aller par là ? » Mahonri répondit : « C’est le doigt de Dieu qui m’a montré la direction. »
Pendant tout leur périple, le doigt de Dieu, invisible à tous sauf à Mahonri, fut tel un compas, tel une étoile dans le ciel, leur indiquait la direction à prendre. Et ils la suivirent à travers tout le continent jusqu’aux rives de l’océan. Là, ils construisirent des embarcations et traversèrent l’océan, toujours en suivant la direction qu’indiquait le doigt de Dieu, que Mahonri seul pouvait voir. De l’autre côté, ils trouvèrent un autre continent, une terre de promission, un pays préférable à tous les autres, et ils y prospérèrent.
Seulement, Mahonri, tout comme son frère Jared et tous ceux qui l’accompagnaient vieillit, et même si à l’époque on  vivait plus longtemps qu’aujourd’hui, il finit par mourir, et il n’y eut plus personne pour voir le doigt de Dieu qui indiquait la direction à prendre. Depuis des milliers d’années, le doigt de Dieu est toujours là, il indique toujours la direction à prendre, mais il n’y a toujours personne pour le voir.